Les Personnes — 1997


À l’intérieur de l'installation Les Personnes, créée en collaboration avec Nathalie Caron, on trouve plusieurs textes, dont ces trente-six portraits très brefs écrits par Charles Guilbert. Dans l'œuvre, chacun des portraits est accompagné d’une photo.

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PROJET SUIVANT




N. H.
Enfant maigre à peau cuivrée. On entre chez lui par la petite cicatrice. Il aime son nez, il aime le vôtre. Le bord de ses souliers retrousse : j'y glisse des sous noirs.

A. H.
C'est une île. Un pleureur sans larmes. Fuyant la beauté des trompettes, il rame tout près des rives dans des chaloupes multicolores. Les bons ormes le distraient : il n'entend pas gémir les loutres.

D. S.
Ombre fleurie, elle bombe ses poires même devant les murs amènes depuis qu'elle a avalé l'abeille de sa mère. Ses longues phrases trempent dans les flaques de limonade brûlante qui serpentent dans son petit tank.

L. S.
Elle peigne ses cheveux dans l'aubépine, le lierre grimpe sur le chat

Y. J.
Il a longtemps tâté les riches étoffes du garçon joufflu. Puis les chaises se sont brisées. Il a dû descendre les marches de l'escabeau jusqu'à la prison. On le croyait trop blond pour le cachot. Il y perdit toutes ses dents, et même son éclat de pivoine. Mais son cœur inoxydable brillera toujours derrière les comptoirs.

M. S.
Filleul des rivières glacées, il ponce les doigts des violonistes et suce leurs cheveux pâles, jusqu'à ce que les crépuscules se glissent dans la boîte à pain dont il sait refermer le loqueteau sans faire de bruit.

M. B.
Debout dans la Transparence, un peu voûté, il crache en souriant les jeunes libellules qui virevoltent autour de nos chapeaux noirs.

M. C.
À la fois orge et or, jungle et rocaille, ivoire et savon, elle se promène en talons aiguilles dans les rues en réparation. Au fond de leurs trous, les hommes sautent à pieds joints sur leurs pelles pour lui trouver des dents de sages ou des chardons de cristal. Nonchalante dans la poussière, elle leur fait des sourires immenses et leur offre de la gomme à mâcher.

R.L.
Dans sa tour de contrôle, entre deux atterrissages, il dessine, au dos des manuels d'instruction, de vastes cathédrales de pierres blanches dans lesquelles sa mère pourrait se consoler d'avoir un fils qui mange des pommes d'Adam.

M. P.
Certains prétendent que c'est à cause d'une morsure de petite bête qu'elle envoie promener les jeunes mariés le soir même de leurs noces. Esquissant un rictus avec sa bouche de poisson, elle dit que ça n'a rien à voir.

M. D.
Il est jaune comme l'ironie. Ses souliers ne font pas de bruit. Pas même sur les planchers de chêne. Pourtant il fuit, à toute allure, apeuré par ses propres prophéties.

J.-C. R.
Assis à l'ombre d'un jeune frêne, il fixe l'endroit où le fil de sa canne à pêche perce l'eau de l'étang. Il réussit pendant un instant à oublier les gouaches noires qui tapissent sa cabane, les cuisses du gogo-boy à l'unicyle et le moulin de pierre où il rêve de se faire seigneur.

C. D.
Elle a tout pour être une princesse. Un cou d'ivoire, des lèvres pâles, guillochées, des yeux noirs, énormes et lourds, et une chevelure plus floue qu'une fumée. Et comme une princesse, elle est lasse, seulement voilà, sans légèreté, les bras négligemment jetés sur les accoudoirs, les mains fanées sur ses genoux.

M. G.
Poil, fleur, colonnette, brave.

N. G.
Elle n'a pas le droit de dire qu'elle est la sœur de la tragédienne sur la tête de laquelle s'est posé l'oiseau jaune. Elle n'a pas le droit de dire que l'auto sport du garçon timide roule autour de son cœur. Elle n'a pas le droit de prêter son micro à celle qui a la patience de compter ses taches de rousseur.

R. A.
Muette comme une carpe, elle fait voler ses tresses au-dessus des feux de camp que les éleveurs d'agneaux ont allumés en son honneur. Elle a sauvé tant d'hommes ivres!

M. G.
Elle sait qu'elle n'oubliera jamais ses anciens numéros de téléphone.

P. L.
Entre les poils forts de sa barbe rasée de près s'entassent les souvenirs de balançoires. Il presse sa langue rugueuse sur les verres de cristal au faîte des gratte-ciel. L'amour, pour lui, est une maison absolument propre. Cravate et culottes courtes : ô s'il plongeait dans la sauce aux tomates!

A. B.
Elle a la sagesse des gardiennes de gâteaux et la folie des enleveuses de pansements. Assise sur une perche de la clôture de cèdre, elle s'amuse à avoir peur des chevaux blancs.

R. G.
Les joues gonflées d'un silence de loup, autour de la cabane du pêcheur endormi, il cherche sous les roches les médailles oubliées : pour vous les donner.

G. C.
Il vomit dans le trou de sa guitare, se lève sur les souliers troués qu'il porte depuis qu'il est enfant, puis se jette dans les serres de l'aigle royal qui le conduit jusqu'aux grands bancs de smog.

A.-M. G.
Elle applique des patines sur ses rêves tavelés en chantonnant pour les cailloux. Elle escalade les trônes de velours qui s'enfoncent dans les podiums. Elle donne des viaducs de nacre aux analphabètes, puis elle fond en pleurs.

N. C.
Calme mais rebondie, elle rit mais souffre d'un torticolis. On a envie de pleurer dans sa crinière, puis de tremper sa plume dans le noir de ses yeux pour décrire le bonheur.

M. P.
Marionnette de marionnette, elle fume comme les actrices, mais ses robes godent. Qu'elle ouvre l'armoire et contemple le bleu de ses assiettes!

Y. M.
Dans la soucoupe volante jonchée de bouteilles de bière, il est le président de l'Île-des-Ronces. Enfants malades et topless aux ailes de goélands lui donnent des baisers qui crevassent son beau visage brun.

R. L.
Capitaine du connu, dès l'aube il scrute le paysage afin de trouver une raison de ne pas mettre son bateau à la mer.

R.P.
Il sème ses peines dans les poches de chemise des garçons de table, puis il suit les coulées de lave, s'enfonçant toujours plus loin dans les cavernes humides et pleines d'os d'enfants, où jamais son pas de soldat n'a résonné.

M.M.
Regardant l'été avec ses yeux d'automne et l'automne avec ses yeux d'été, il voudrait que les saisons attrapent des vertiges de tourne-disque.

L. T.
Elle convainc les hommes de l'accompagner jusque chez elle en leur disant posséder un livre qui peut changer leur vie. Prudents, ils restent sur le seuil de son appartement. Balayant des yeux les rayons de sa bibliothèque, chaque fois elle se console en pensant aux mille secrets qu'elle leur a arrachés en chemin.

J. B.
Dans le canon du revolver de l'amant de sa fille, il susurre en français des prières de tulle que sa voix goudronnée, contre son vouloir, tache, tache, tache.

A.-M. C.
Elle vit dans un théâtre de braise.

D. L.
Traînant dans une main deux livres qu'elle ne lira jamais et dans l'autre deux dessins couverts d'ecchymoses dédiés à sa maîtresse tapie sous les épines, elle suit le sang des hortensias qui coule jusqu'à la tortue.

M. F.
Contre son corps d'ogresse elle serre les femmes du monde et les vendeuses d'œufs, les sculpteures et les écuyères, les étudiantes et les chauffeuses de taxi. Inévitablement, quelques os craquent.

A. R.
En étranglant sa coupe de champagne, il pique du regard le drap de coton sur lequel est affalé son nouvel alphabet de muscles, détache la boucle de sa ceinture, puis se donne en pâture aux lettres ameutées par le délicat chuintement de sa culotte tombée. Les bras croisés derrière la tête, il contemple le spectacle des signes glissant sur ses cuisses trop polies pour retenir les caresses.

E. T.
Elle sait qu'elle est plus belle sur les photos qu'en vrai. Elle parle comme on vide sa sacoche.

R. J.
À croupetons sur l'arc-en-ciel, il s'ouvre comme les huttes d'écume. Et plus encore. Jusqu'à n'être qu'un trou de patience.